Les établissements hospitaliers privés (EHP), dont le nombre ne cesse d’augmenter ces dernières années, obéissent plus à une logique commerciale qui assure leur pérennité, au prix d’énormes sacrifices financiers pour les malades, et parfois au mépris des impératifs réglementaires régissant leurs activités.
De 15 établissements de santé privés répartis à l’échelle nationale en 1993, l’Algérie compte aujourd’hui 208 cliniques privées, alors que presque autant sont en cours de réalisation, dont 31 fonctionnelles et 15 autres en chantier pour la seule capitale. L’exercice à titre privé a été consacré par la loi 85-05 du 16 février 1985 tandis que la loi 88-204 du 3 mai 1988 a donné naissance aux cliniques privées, précise Dr Fawzi Benachenhou, directeur des structures de santé de proximité au ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière. D’autres textes réglementaires régissent les conditions d’ouverture, d’organisation et de fonctionnement de ces structures, ajoute-t-il, notant que toute clinique fait l’objet d’une visite de « conformité » avant le démarrage de ses activités afin de s’assurer du respect de la réglementation en matière notamment de construction, du nombre du personnel et de l’équipement engagés par le promoteur. Ces aspects devant être proportionnels aux disciplines que ce dernier envisage de développer, sachant qu’il est tenu d’offrir les spécialités de base, souligne-t-il. L’évolution de cette activité, devenue une nécessité incontournable, est encouragée afin d’élargir « les offres de soins » aux citoyens, souligne le même responsable, déplorant toutefois, l’absence d’une carte sanitaire de sorte à ce que l’implantation géographique de ces établissements soit la plus équilibrée possible: « Généralement, les EHP sont implantées dans les villes qui sont pourvues de CHU », fait-il remarquer. Néanmoins, ce qui pose un plus sérieux problème, ce sont les diverses infractions à l’éthique médicale, à savoir les erreurs médicales, l’exercice illégal pour les praticiens, ainsi que le non-respect des règles d’hygiène, déplore ce responsable. Soit, autant de motifs justifiant des mesures disciplinaires allant de la mise en demeure à la fermeture provisoire ou définitive de l’établissement, celle-ci ayant, jusque-là, rarement été appliquée afin de « préserver l’investissement consenti », note-t-il. « Lorsqu’un patient décède dans une clinique, que sa famille porte l’affaire devant la justice et que celle-ci prononce une décision de fermeture définitive de la structure, nous l’exécutons », poursuit le même responsable, assurant que la nouvelle loi sanitaire « cadrera davantage » la pratique de ces structures. En 2018, trois cliniques privées ont fait l’objet de fermeture provisoire au niveau national, pour non-conformité à la réglementation, tandis qu’une 4ème a définitivement fermé ses portes sur demande de son propriétaire. A Alger, l’on dénombre un récent cas de fermeture, à titre conservatoire, à la suite du décès du chanteur connu, survenu début janvier lors d’une intervention chirurgicale. Une enquête est en cours pour déterminer les circonstances et causes de ce décès que des médias ont imputé à une surdose d’anesthésie. « Ce décès a été très médiatisé car concernant un artiste connu, mais nous effectuons régulièrement des visites inopinées et des inspections dans ces établissements, souvent à la suite de plaintes de patients. En cas d’infractions établies, nous envoyons des rapports à la tutelle », explique Dr Yahia Zeroual, de la direction de la Santé et de la Population (DSP) d’Alger. Quelques mois plus tôt, c’est la clinique d’accouchement de Dar El-Beida qui avait fait l’objet d’une décision de fermeture provisoire à la suite du décès d’un nourrisson, brûlé par une résistance chauffante. Cette mesure a été ensuite définitive, l’établissement étant vétuste, informe-t-il,
faisant savoir que les inspections sont généralement assurées par une vingtaine de praticiens inspecteurs. Un nombre « insuffisant pour couvrir la totalité des cliniques activant h 24 dans l’Algérois ». Outre le non-respect des règles d’hygiène, périodiquement relevé, l’exercice illégal de la profession est une réalité établie dans la majorité des cliniques qui emploient des praticiens exerçant dans le secteur public, en violation de la nouvelle loi sanitaire prévoyant le gel de l’activité complémentaire. « Les textes d’application de cette disposition n’étant toujours pas promulgués, la mesure est difficilement applicable, même si toutes les cliniques en ont été destinataires », souligne Dr Zeroual, déplorant aussi la difficulté de « prendre des sanctions » à l’encontre des praticiens mis en cause: « Ils doivent soit être pris en flagrant délit d’exercice illégal ou faire l’objet d’une dénonciation écrite de la part d’un patient ». Certains d’entre eux contournent l’interdit en signant le protocole opératoire usant des griffes de leurs collègues recrutés à titre permanent par la clinique, fait-il savoir, se souvenant de situations burlesques où certains praticiens « se sont enfuis en sautant de la fenêtre ou cachés dans les vestiaires » à l’arrivée des inspecteurs. Tout en admettant que ce sont les rémunérations attractives que le secteur public n’offre pas qui motive cette pratique, le même responsable plaide pour « un salaire de base fixe et des rémunérations en fonction des actes chirurgicaux ».
Des prix totalement libres…
Les tarifs pratiqués par les cliniques privées « sont totalement libres, chacune d’elle les fixe selon ses propres paramètres, car il s’agit d’une activité libérale », expliquent les représentants du ministère de tutelle, notant que ce département « n’a rien à avoir » avec cette question: « Un accouchement par césarienne peut revenir à 120.000 DA dans un EHP et à 70.000 ou 80.000 DA dans une autre », indique Dr Zeroual. S’il n’est pas évident de connaître la grille des tarifs arrêtée pour les actes chirurgicaux auprès des responsables des cliniques algéroises, ces derniers se contentent d’arguer « des différentes charges » qui leur incombent pour les justifier. Néanmoins, un accord tacite semble exister entre eux quant au seuil des consultations lequel est fixé à 2.000 DA. Par ailleurs, la majorité d’entre elles emploie des « cabinards » (privés) qui leur fournissent leurs propres patients évoquant les insuffisances du secteur public. De la sorte, le suivi des malades n’est pas rompu. Le coût de l’opération revient moins cher pour le malade, lorsque le praticien est directement payé par la clinique, explique-t-on au niveau de ces établissements. « Chaque intervention est différente, selon la durée du bloc opératoire et du séjour postopératoire. Nous ignorons combien perçoit le praticien lorsqu’il est directement payé par le malade alors qu’avant, on encaissait la totalité de la facture puis on payait le médecin », explique la gérante d’une clinique à Hydra, s’insurgeant contre le fait que « c’est désormais le médecin qui dicte au malade pour quelle clinique opter ». Quoi qu’il en soit, le patient demeure le principal pénalisé car contraint de payer rubis sur l’ongle une prise en charge dont il ne se réjouit pas toujours, comme le démontrent les plaintes que les malades portent périodiquement à la connaissance de leurs proches et entourage. « J’ai une parente qui a été opérée, chèrement et sans succès, par un médecin dans une clinique privée. Ce dernier a refusé de continuer à la prendre en charge et de rectifier son erreur, il a fallu que j’intervienne pour qu’il le fasse dans l’hôpital où il exerce également », raconte Malika, employée administrative dans un CHU d’Alger. Pour une délicate intervention de pontage du cœur, une autre clinique à Hydra a facturé 4,5 millions de DA à un sexagénaire originaire de Constantine, dont la famille a cotisé pour réunir la somme. « Nous n’avons pas d’autre choix car ça urge », explique l’un des fils qui estime que « l’essentiel est que tout se passe bien ». Pour une hospitalisation de deux jours, une intervention pour des problèmes de fibromes a coûté 100.000 DA à Fatma-Zohra, la quarantaine. L’ayant subie dans une clinique à El-Biar, elle en est sortie « très satisfaite grâce à une prise en charge de qualité et un strict respect de l’hygiène ».
Plaidoyers pour la contractualisation avec la Sécurité sociale
« Tant que la question de la contractualisation avec la Sécurité sociale n’est pas réglée, les tarifs pratiqués par les privés demeureront libres. Il faut un système de santé unique pour le public et le privé, une réglementation qui fasse le pont entre les deux secteurs ainsi qu’une nomenclature des actes chirurgicaux », suggère le Dr Zeroual. Déplorant l’absence de « concertation » entre le secteur privé et la CNAS, hormis pour l’hémodialyse et les maladies cardiovasculaires pour les cotisants, il salue l’intervention du ministère de la Solidarité nationale pour la prise en charge des non assurés. « Même si l’activité médicale ne peut pas être administrée, la Sécurité sociale doit se pencher sur la question de la contractualisation dans les hôpitaux », (organisation des relations entre les hôpitaux, la Sécurité sociale et les directions de l’Action sociale, tout en préservant la gratuité des soins), recommande le Président de l’Ordre national des médecins, M. Mohamed Berkani Bekkat, réitérant également sa revendication inhérente à l’annulation du forfait hôpital. Il préconise, par ailleurs, une nomenclature des actes médicaux pour le privé de sorte à élargir la palette des remboursement, dès lors que le citoyen cotise ». Et d’interpeller l’Etat afin de jouer son « rôle régalien » s’agissant des irrégularités et autres défaillances enregistrées dans les cliniques privées.
N.I/Ag