Benkorichi : «La mobilité des personnes malvoyantes, un autre challenge pour une ville durable et équitable»

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Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près de 285 millions de personnes dans le monde présentent une déficience visuelle dont 246 millions malvoyants ; certes ces personnes sont privées du sens de la vision, mais ils sont des êtres à part entière qui ont un rôle à jouer et une place occuper au sein de la société sociale. Plusieurs difficultés rencontrées par les personnes sévèrement malvoyantes en raison du manque d’informations ou de contrôle visuel. Leur handicap apparaît de manière très importante dans leurs déplacements dans les configurations urbaines multiples. A l’occasion de la Journée internationale des handicapés qui coïncide annuellement avec le 3 décembre, nous avons le plaisir de vous présenter les résultats de travail de recherche mené par Benkorichi Oualid, un jeune chercheur en urbanisme et architecture très sensible aux préoccupations et besoins spécifiques des handicapés, notamment les non- voyants.

L’Echo d’Algérie : Quelle est votre contribution dans ce domaine ?

Benkorichi : Après une carrière d’environ 20 ans en qualité d’architecte expert exerçant la profession à titre libéral dont j’étais passionné par l’urbanisme opérationnel, j’ai opté pour la voie de recherche scientifique où la problématique des personnes handicapées dans leurs déplacements dans le milieu urbain m’a attiré. En considérant que les déficients visuels sont les plus vulnérables dans leurs déplacements et leur mobilité, je me suis engagé dans un projet de recherche de magister sur les déplacements des personnes sévèrement malvoyantes dans le milieu urbain.

Quel est l’objet de votre travail de recherche ?

L’objet de notre travail est d’essayer de comprendre la mobilité de personnes sévèrement malvoyantes dans un espace urbain spécifique, en adoptant une approche intégratrice qui met en lumière les différentes interactions entre les malvoyants et l’environnement urbain qui le chemine et le parcoure quotidiennement. Cette compréhension permettra aux architectes et urbanistes d’apporter des aides aux malvoyants en amont c’est-à-dire en phase de conception des projets et aménagements urbains, tout en évitant une situation handicapante qui nécessite l’appel aux prothèses architecturales (bande de guidage, bande d’éveil et de vigilance et autres dispositifs) en aval qui peuvent altérer l’œuvre réalisée. Se déplacer en ville dans un lieu inconnu est un processus complexe, et enchaîne une série d’opérations qui intègrent la préparation du déplacement, la navigation, la perception de l’environnement, l’identification des obstacles, les interactions avec les autres passants, l’accès et la lecture des informations visuelles nécessaires à l’orientation, à la mobilité et à la représentation mentale de l’espace cheminé.

 Quelle était votre méthodologie d’approche ?

Pour mieux cerner la demande et les besoins de notre population d’étude, un protocole expérimental (une expérience) s’est déroulé en 2014 dans un parcours public urbain sis à la commune de Bab El Oued au lieu-dit El Kettani avec la participation de 19 volontaires. L’itinéraire choisi est de 1020 m de longueur, formé de plusieurs scènes urbaines à savoir : ruelles, jardin public, esplanade surplombant le front de mer, avenue, rues, après avoir procédé à un relevé exhaustif du cadre physique et des divers types d’obstacles et situations handicapantes, le trajet est parcouru en situation réelle dans la même journée et à trois reprises successives pour chacun des participants. Les deux premières sessions en mode guidage humain pour permettre aux participants de se familiariser avec le parcours. La dernière session en mode autonomie ou le participant naviguait seul, sans aucun guidage et en faisant appel à sa mémoire. Bien que le recueil des commentaires évoqués par les participants lors de la première session a été caractérisé par un nombre très restreint de commentaires et par une faiblesse relativement constatée dans le traitement qualitatif et perceptif des espaces formant le parcours expérimental.

Quels sont les résultats de votre recherche ?

Les résultats des parcours commentés indiquent que l’espace public en Algérie est inaccessible non seulement aux malvoyants, mais également aux personnes atteintes d’autre handicaps, parcourir cet espace est une tâche très ardue ; voire un parcours de combattant. D’autre part, les divers types d’obstacles formant des situations urbaines handicapantes ont un grand impact sur leur stratégie de déplacement, leur mode d’orientation et leur représentation spatiale et mentale de l’espace parcouru. Ces obstacles mettent en situation de difficulté les malvoyants  tout en leur ôtant tout le plaisir de circuler en ville et de s’y promener.

A la lumière de ce travail, quelles sont vos recommandations ?

Considérant que la mobilité en ville est un droit ainsi qu’un plaisir pour toutes les catégories de la population y compris les malvoyants. Les résultats issus de notre recherche nous renseignent sur le vécu de la ville en l’absence de la modalité visuelle et donnent lieu à un ensemble de recommandations qui consistent à :- Comprendre la mobilité des personnes malvoyantes et mieux cerner leurs demandes et leurs besoins. – Effectuer un travail de base dans toute la société afin de sensibiliser toutes les couches et catégories sociales de la nécessité de la continuité de la chaîne de déplacement au niveau des trottoirs et des espaces partagés sans aucune rupture. Cette chaîne doit être libre de tous les types d’obstacles, pour améliorer le confort et la sécurité des déplacements des malvoyants et des personnes atteintes d’autres handicaps et ne pas les mettre en situation de difficulté. – Mieux sensibiliser tous les acteurs et intervenants dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme et les concepteurs de mobilier urbain, les aménageurs ainsi que les Collectivités locales, pour qu’ils osent dépasser la seule approche visuelle et esthétique dans la conception et de centrer leurs actions dans la ville sur la démarche multi-sensorielle qui intègre plusieurs sens à la fois «principe de la ville de tous les sens». La prise en charge précoce des malvoyants congénitaux et au premier stade des malvoyants tardifs, pourra aider ces personnes à combler leur déficience visuelle par des stratégies de compensation sensorielle, à utiliser les aides adéquates à la mobilité telles que la canne blanche et optimiser leur potentiel visuel, même minime. Certes, les nouvelles technologies de l’information et de la communication NTIC ont ouvert un champ très large de possibilités visant à optimiser et à favoriser l’autonomie des personnes malvoyantes, mais l’abus d’utilisation de ces outils et instruments au détriment des compétences personnelles de compensation pourra créer chez eux une dépendance totale à ces outils palliatifs.

Entretien réalisé par Ahsene Saaid

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BENKORICHI Oualid : Architecte urbaniste chercheur. Architecte agréé, gérant d’un cabinet d’études et d’expertise depuis janvier 1996. Expert judiciaire agréé auprès des tribunaux depuis août 1996. Ingénieur d’application en travaux publics depuis Novembre 2011. Magister en architecture et urbanisme – Université Mohamed-Khider à Biskra – juillet 2016. Doctorant en architecture et urbanisme – Université Mohamed-Khider – Biskra. Enseignant vacataire à l’université de Blida.

Photo: L’Echo d’Algérie ©