Par le pr Abderrahmane Mebtoul
Tandis que la volatilité des prix des hydrocarbures représente le principal risque de l’économie algérienne à court terme, le cumul des déficits pèse sur les réserves de change.
Dans son rapport de novembre 2025, la Banque mondiale dresse un tableau contrasté de l’économie algérienne, mettant en relief le retour des « déficits jumeaux », à savoir le cumul du déficit budgétaire et celui du déficit commercial. Le rapport note que « le déficit s’est fortement creusé au premier semestre 2025, atteignant 10,5 milliards de dollars » Il souligne néanmoins la bonne dynamique de l’activité hors hydrocarbures. Les perspectives de croissance du PIB réel sont positives : 3,8 % en 2025 et 3,5 % en 2026. Les réserves de change sont estimées hors or, à 67,80 milliards $.
À mesure que l’adoption de technologies propres et économes en énergie s’accélère, la demande mondiale en hydrocarbures devrait ralentir, entraînant une baisse structurelle des prix.
Pour 2025, calcule de son côté Global Firepower Index 2025, l’Algérie figure en deuxième place en Afrique, avec 81 milliards $ de réserves de change. Ce montant inclut les réserves d’or de 173,56 tonnes. Selon la banque mondiale, les réserves de change représentaient 15 mois d’importations, à fin 2024 « et auraient encore diminué au premier semestre 2025 ».
La Banque mondiale prévoit la persistance du déficit courant, qui oscillerait entre 3 % et 4 % du PIB sur la période 2025 -2030. Les réserves officielles de change s’éroderaient année après année. Elles ne seraient que de 20 milliards $ en 2030, couvrant trois mois d’importations.
Comme conséquence des tensions budgétaires et de la baisse des réserves de change, le ministre des Finances annonce le recours à l’endettement extérieur, mais de manière très ciblée, pour financer les grands projets d’investissement. L’objectif est de diversifier les sources de financement et de maintenir une dette soutenable qui sera exclusivement destinée à l’investissement.
Le ministre a reconnu le recours au financement non conventionnel qui consiste à permettre à l’État de pouvoir utiliser les ressources de la Banque d’Algérie pour couvrir des obligations du trésor. C’est le recours à la planche à billets, source d’inflation.
La Banque mondiale souligne que « les prix volatils des hydrocarbures demeurent le principal risque à court terme, tandis que le changement climatique et les efforts mondiaux de décarbonation pèsent sur les perspectives à moyen et long terme » (lire ci-dessous). Afin d’éviter « les effets pervers à terme », les économistes recommandent « un rééquilibrage budgétaire urgent tout en maintenant le soutien à l’investissement productif. » Ils insistent sur la nécessité de poursuivre les réformes structurelles pour diversifier l’économie et améliorer l’environnement des affaires. Toutefois, la Banque mondiale souligne les potentialités de l’Algérie qui peut toujours prétendre devenir un pays émergent.
Les chiffres clés de l’Algérie et les prévisions de la Banque mondiale (annexe)
Selon les données consolidées de CEIC Data, une plateforme utilisée par les banques centrales, les réserves de change algériennes en devises se sont établies à 47,1 milliards de dollars à la fin du mois d’octobre 2025. Ce montant représente une diminution par rapport au stock de fin d’année 2024, qui s’élevait à 67,8 milliards de dollars selon les chiffres du Fonds monétaire international (FMI) publiés en juin 2025 dans le cadre de sa mission Article IV. La baisse entre ces deux dates dépasse 20 milliards de dollars.
L’Algérie et la décarbonation du monde
La stratégie de croissance de l’Algérie devrait tenir compte des efforts mondiaux de décarbonation et d’autres facteurs structurels pesant sur une économie dépendante des hydrocarbures, lit-on dans le rapport de la Banque mondiale.
Laquelle détaille « trois évolutions structurelles majeures » qui mettent au défi le modèle économique algérien fondé sur les hydrocarbures. Premièrement, à mesure que l’adoption de technologies propres et économes en énergie s’accélère, la demande mondiale en hydrocarbures devrait ralentir, entraînant une baisse structurelle des prix. La demande mondiale de pétrole devrait
Atteindre un pic en 2030, puis diminuer.
Deuxièmement, l’offre mondiale de pétrole continue d’augmenter, ce qui contribue également à la baisse des prix des hydrocarbures.
Troisièmement, les réserves de l’Algérie diminuent tandis que la demande domestique augmente, réduisant les volumes disponibles à l’exportation.
« Si la réforme des subventions énergétiques et de nouvelles découvertes peut ralentir le rythme d’épuisement des réserves et accroître les volumes exportables, le pays a déjà exploité plus de 60 % de ses réserves prouvées », insiste la Banque mondiale.
À ses facteurs s’ajoute le mécanisme européen qui impose, dès 2026, de nouvelles normes aux produits importés : il s’appliquera aux principales exportations algériennes hors hydrocarbures, notamment les engrais, le fer, l’acier et le ciment, et devrait avoir un impact significatif sur les exportations du pays.
« Pris ensemble, ces facteurs poseront un défi majeur au modèle économique algérien, à ses équilibres extérieurs et budgétaires, et soulignent l’importance de diversifier l’économie tout en réduisant son intensité carbone », concluent les économistes de la Banque mondiale.
Une position extérieure tendue pour l’Algérie
L’Algérie devrait connaître un important déficit commercial fin 2025 et de vives tensions budgétaires en 2026, ce qui affectera le niveau des réserves de change.
Le ministre des Finances algérien vient de reconnaître a reconnu que la situation sociale et économique actuelle de son pays nécessitera à la fois un endettement extérieur ciblé et le recours au financement non conventionnel, autrement dit le recours à la planche à billets.
Attention à la dérive inflationniste qui amplifie la sphère informelle et accentue le glissement du dinar sur le marché parallèle pouvant atteindre les 300-400 dinars pour un euro, La spéculation sur l’immobilier, les valeurs refuge et les devises fortes est beaucoup plus rentable que d‘investir dans les projets à valeur ajoutée dont la rentabilité est à moyen terme.
Les prix à l’exportation de marchandises ont connu une baisse de 7,4 % par rapport au premier semestre 2024 et les prix à l’importation de marchandises une diminution de 2,8 % durant la même période. Le volume des exportations a baissé (-1,2 %) et celui des importations a fortement augmenté (+28,4 %).
Selon le FMI, en cas de non profondes réformes structurelles, avec une prévision d’un déficit courant entre 3 % et 4 % du PIB sur la période 2025-2030, les réserves officielles de change de l’Algérie passeraient de 67,8 milliards de dollars en 2024 à environ 18,6 milliards $ en 2030.
Les exportations durant ce premier semestre 2025 ont connu une baisse en valeur de 8,5 %, s’établissant au cours actuel de la Banque d’Algérie à 23,50 milliards de dollars, sur la base d’un dollar pour 130 dinars. Cette baisse s’explique principalement par le recul enregistré dans les hydrocarbures, dont les prix ont baissé de 8,2 %. Les exportations hors hydrocarbures ont connu une augmentation en valeur de 11,8 % sur la période. Au premier semestre 2025, les importations ont enregistré une hausse de 24,8 %, atteignant toujours au cours actuel 28,97 milliards $.
Comme conséquence, nous avons un déficit commercial de 5,47 milliards $, sans compter les importations de services qui ont été de 6 milliards de dollars en 2024. Cela a des répercussions sur le niveau des réserves de change.
Les exportations de Sonatrach principal pourvoyeur de devises seront de l’ordre de 41-42 milliards $ en 2025. Quant aux exportations hors hydrocarbures, leur montant serait de 4,7 milliards $ ayant connu une croissance de 3 %.
Les réserves de change toujours du fait de la détérioration de la balance commerciale seraient sous la barre des 60 milliards $.
Quelles perspectives ?
La nouvelle procédure bureaucratique a entraîné une hausse des prix, des pénuries et une sous-utilisation des capacités de l’appareil de production des entreprises publiques et privées. Il faut impérativement revoir cette procédure paralysante.
Nous assistons à un déficit entre les recettes et les dépenses budgétaires. Pour le PLF 2026, les recettes devraient atteindre 61,60 milliards $ soit 19 % du PIB et les dépenses 135,66 milliards de dollars, soit 42 % du PIB. La différence recettes-dépenses prévue pour 2026 est 74,06 milliards $.
Ce déficit budgétaire montre une monétisation progressive du déficit avec le recours à la planche à billets, source d’inflation en cas de rigidité de l’offre. Dans une véritable économie de marché concurrentielle, le taux d‘inflation dépasserait largement les 10 %/15 % et non le taux utopique de 2,9 % annoncé par PLF en 2026. Ce qui nécessitera une hausse des taux d’intérêt des banques dont plus de 80 % des crédits octroyés relèvent des banques publiques.
Les transferts sociaux d’un montant prévu pour 21026 de 46,15 milliards $, généralisées et non ciblées fragilisent les réserves de change et la cotation officielle du dinar. En cas de baisse ce ces réserves, par exemple de 20 -3O milliards de dollars, l’Algérie se retrouverait dans le scénario vénézuélien pourtant premier réservoir pétrole au niveau mondial, avec une hyperinflation.
La théorie keynésienne de relance de l’économie par le déficit budgétaire applicable dans les pays développés doit être analysée avec attention. Car, l’Algérie souffre d’un déficit d’offre, comme le montre l’importance de la rente des hydrocarbures qui irrigue toute l’économie du pays et le niveau faible des exportations hors hydrocarbures.
Les tensions budgétaires et la baisse des réserves de change ont deux conséquences.
Premièrement, nous assistons à un assouplissement de la position du gouvernement qui a diabolisé le recours à l’endettement extérieur pour ne pas hypothéquer la souveraineté du pays. L’argument étant que l’Algérie ne devait compter que sur ses propres capacités pour faire face aux déséquilibres économiques.
Planche à billets sans inflation ?
Rappelons que déjà la loi de finances pour 2026 avait autorisé le recours à l’endettement extérieur, mais de manière très ciblée, pour financer les grands projets d’investissement. L’objectif est de diversifier les sources de financement et de maintenir une dette soutenable qui sera exclusivement destinée à l’investissement.
L’entrée de la Banque d’Algérie.
Pour bénéficier des capitaux des investisseurs qui tiennent avant tout à la visibilité de la politique économique, la stabilité politique, sociale, monétaire et juridique, l’Algérie doit améliorer le climat des affaires et son image.
Deuxièmement, les charges de la dette ont augmenté. La dette intérieure est estimée à près de 138 milliards $, incluant le financement du déficit budgétaire et des crédits pour des entreprises publiques.
Le ministre des finances a reconnu devant les députés en novembre 2025 le recours au financement non conventionnel, qui consiste à permettre à l’État de pouvoir utiliser les ressources de la Banque d’Algérie pour couvrir des obligations du Trésor. C’est-à-dire le recours à la planche à billets, mesure transitoire permettant de combler le déficit tout en espérant éviter une dérive inflationniste.
Par ailleurs, le grand problème qui se pose est l’intégration de la masse monétaire en circulation hors du circuit bancaire. Elle a atteint environ 66,25 milliards $ à la mi-2024 et connaît une croissance rapide d’année en année. Cette circulation fiduciaire représente une part de 34 % de la masse monétaire totale (M2). Cela montre qu’il reste un long parcours pour bancariser cet argent. La solution est de redonner confiance sans laquelle aucun développement fiable ne peut se concrétiser.
Le prix de 60 dollars et 70 dollars du cours des hydrocarbures a été retenu dans les lois de finances 2025/2026 alors que l’équilibre budgétaire nécessite un baril entre 140/150 dollars.
L’Algérie a besoin de gérer efficacement les finances publiques pour assurer la stabilité et le développement économique à moyen et long terme. Or, force est de constater la forte dépendance de l’économie algérienne aux aléas du cours des hydrocarbures dont les prix volatils échappent à la décision interne. Pour asseoir une économie diversifiée et attirer les investissements étrangers créateurs de valeur ajoutée, la bonne gouvernance, la valorisation du savoir et une planification stratégique s’imposent. Les défis de l’Algérie face à un monde turbulent et instable et à des besoins sociaux internes croissants rendent nécessaire de profondes réformes.
Pr Abderrahmane Mebtoul






