La vie trouve toujours un chemin pour prospérer, même dans les conditions les plus extrêmes. À presque dix kilomètres sous la surface de l’océan Pacifique, des scientifiques chinois ont découvert des créatures abyssales « gigantesques ». Ces observations, consignées dans la revue Nature dans un article en date du 30 juillet 2025, décrivent des organismes d’une taille démesurée, formant un écosystème foisonnant dans l’un des environnements les plus hostiles de notre planète. La fosse des Kouriles, située au nord du Japon, est l’une des fosses océaniques les plus profondes de la Terre. Plongeant à 9 600 mètres de profondeur, la pression y est plus de mille fois supérieure à celle de la surface. Il y règne une obscurité totale, puisque la lumière du Soleil ne peut y pénétrer et les ressources organiques sont rarissimes. Pour autant, elle n’est pas un désert biologique, car de rares espèces parviennent à y survivre, en respectant cette « règle écologique » : ils doivent être minuscules et économes en énergie. C’est pourquoi les chercheurs ne s’attendaient pas à y trouver plus que quelques microbes ou invertébrés filiformes ne dépassant pas quelques millimètres ou centimètres au maximum. L’expédition menée en 2024 par le submersible chinois Fendouzhe, dans le cadre du programme Global TREnD, a, grâce à ses observations, invalidé cette idée. À près de 9 500 mètres de profondeur, les caméras embarquées ont filmé des champs entiers de vers tubicoles siboglinidés atteignant 20 à 30 centimètres de longueur, parfois regroupés par milliers. Autour d’eux prospéraient des bivalves du genre Tartarothyasira, des gastéropodes fixés sur leurs tubes, mais aussi des concombres de mer (Elpidia hanseni), des vers marins (polychètes) et des crustacés (amphipodes). Des écosystèmes de créatures parfaitement adaptées (voir notre article sur la théorie de l’évolution, qui s’attarde sur la notion de spécialisation écologique) qui s’étendaient, dans certains cas, sur plusieurs kilomètres sur le plancher océanique. Ces communautés d’êtres vivants parviennent à survivre dans ces conditions invraisemblables, car leur mode d’alimentation est unique, radicalement différent des espèces marines peuplant les strates moins profondes des océans. À ces profondeurs, la photosynthèse est un processus biologique complètement absent. Privés de toute lumière, ces animaux ne peuvent donc pas compter sur elle comme source d’énergie. Ils vivent en exploitant la chimiotropie : dans les sédiments de la fosse, des millions de bactéries transforment certains composés chimiques (principalement du méthane et du sulfure d’hydrogène) en énergie. Des molécules produites par l’activité microbienne, qui dégrade ensuite la matière organique enfouie dans les dépôts accumulés à plusieurs centaines de mètres sous le plancher marin. Sous l’effet de la subduction [NDLR : quand une plaque tectonique océanique s’enfonce sous une autre], elles sont entraînées puis libérées par des failles tectoniques au fond de la tranchée. Ces bactéries sont ensuite hébergées en symbiose dans les tissus de certains animaux (vers tubicoles ou bivalves, par exemple). Celles-ci oxydent le méthane et le sulfure d’hydrogène, pour produire des composés organiques, qui sont ensuite directement transférés à leurs hôtes, qui peuvent ainsi se nourrir sans jamais avoir à chasser ou à filtrer l’eau. C’est grâce à ce métabolisme très particulier, délégué entièrement aux bactéries, que ces immenses colonies parviennent à prospérer, dans lesquelles certains individus peuvent atteindre ces gabarits remarquablement grands. Rappelons que nos océans sont les zones que nous connaissons le moins, puisque 80 % des fonds marins n’ont jamais été explorés ni cartographiés. Rien n’exclut donc que d’autres fosses, du Pacifique aux tranchées de l’Atlantique, recèlent, elles aussi, des colonies géantes comparables à celles observées dans la fosse des Kouriles. Des terra incognita que nous devrions un jour étudier, pour mieux cerner le rôle que jouent ces zones abyssales dans le recyclage de la matière organique, la transformation des gaz à effet de serre et la résilience de la biosphère marine. Autant de domaines qui nous sont pour l’instant extrêmement difficiles à appréhender, en raison du faible nombre de missions dédiées à ces explorations.






