Biologie médicale en danger: Les experts alertent sur des pratiques non encadrées

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Face à une situation alarmante, des experts et médecins spécialisés en biologie médicale mettent en garde contre la prolifération incontrôlée de laboratoires et pharmacies non spécialisés pratiquant des analyses médicales sans encadrement adéquat. Cette expansion anarchique pose un risque sérieux pour la santé des citoyens, d’autant plus que 70 à 80 % des décisions médicales dépendent directement des résultats de ces analyses.

Lors d’une journée d’étude consacrée à l’organisation et à la pratique de la biologie médicale et de la médecine de laboratoire en Algérie, Agoun Adel, premier vice-président du Syndicat algérien des laboratoires d’analyses médicales, a rappelé que la biologie médicale est une spécialité indépendante nécessitant l’expertise de professionnels qualifiés. « Les analyses médicales ne sont pas de simples examens techniques. Elles nécessitent une interprétation rigoureuse et une connaissance approfondie de la biologie humaine, ce qui ne peut être garanti que par des médecins et pharmaciens spécialisés », a-t-il souligné. Le spécialiste a également rappelé que la loi sur la santé de 2018 impose l’obtention d’un diplôme d’études médicales spécialisées pour l’ouverture d’un laboratoire d’analyses médicales. Pourtant, il dénonce l’apparition d’acteurs non qualifiés dans le secteur, notamment dans les pharmacies et centres de diagnostic médical, où les analyses sont pratiquées sans la supervision de médecins spécialisés.

Le Dr Nadia Benmohamed, biologiste médicale et membre du Conseil national de l’Ordre des médecins, s’inquiète de cette dérive : « L’interprétation des résultats d’analyse ne peut pas être confiée à des non-spécialistes. Une mauvaise lecture peut conduire à des erreurs de diagnostic aux conséquences dramatiques pour le patient. »

De son côté, le Dr Ali Boudjemaa, président du Syndicat Algérien des Laboratoires d’Analyses Médicales (SALAM), a souligné : « Nous avons évoqué les dérives réglementaires, qui vont des textes parus depuis 2008 jusqu’au statut des biologistes de santé publique, dont les dispositions portent à confusion. Il est vrai que ce corps participe à l’activité des laboratoires d’analyses, mais on lui confère, malheureusement, les prérogatives de médecins et de pharmaciens spécialisés en biologie médicale. On lui attribue le statut de biologiste médical, c’est-à-dire la responsabilité de l’interprétation et de la validation des analyses médicales. Nous avons soulevé le problème de ce vide juridique et formulé des propositions, mais jusqu’à présent, celles-ci n’ont pas trouvé d’écho. »

Les experts mettent en avant les risques liés à cette prolifération anarchique. Le Pr Karim Ould Slimane, chef de service en biologie médicale dans un grand hôpital d’Alger, explique : « Une erreur d’analyse peut fausser un diagnostic et retarder la prise en charge d’une maladie grave. Nous avons déjà observé des cas où des patients ont été traités pour des pathologies qu’ils n’avaient pas, simplement à cause de résultats erronés. »

Par ailleurs, le Dr Ali Boudjemaa a ajouté : « Nous avons également abordé la problématique de la mise à jour de la nomenclature tarifaire des analyses médicales pour le remboursement par les caisses de sécurité sociale, laquelle date des années 70. »

Il a aussi dénoncé la pratique illégale de la biologie médicale par des professionnels non habilités : « Nous avons en outre soulevé le problème de la pratique illégale de la biologie médicale par des professionnels non habilités, notamment les pharmaciens d’officine, certains médecins hématologues, des endocrinologues… et même dans des salles de soins. Sur ce point, nous avons progressé du point de vue réglementaire, avec la tutelle, mais dans la pratique, aucun progrès n’a été réalisé. Il faut pratiquer la biologie médicale dans le respect des normes. Nous croyons résolument au dialogue. Nous adressons des écrits à la tutelle et faisons valoir nos revendications de manière graduelle, car en tant que syndicat, nous disposons des moyens légaux pour mener des actions de protestation. »

Le Pr Issam Frigaa, chef du centre d’hémobiologie et de transfusion sanguine au CHU Mustapha, a également mis en avant la nécessité d’un encadrement strict de la biologie médicale : « L’exercice de la biologie médicale est très sensible dans le processus de prise en charge du patient, que ce soit pour le diagnostic, le traitement ou la prévention. Il doit être strictement réglementé. Il faut donc établir un cadre organisationnel et réglementaire pour cette activité, garantissant la qualité, la précision et l’accès aux professionnels habilités à réaliser et interpréter des analyses de biologie médicale. Par ailleurs, il existe d’autres problématiques connexes, telles que le manque d’approvisionnement en réactifs. »

Il a également alerté sur les dangers liés aux erreurs dans la réalisation des analyses : « Des erreurs dans la réalisation des analyses médicales, l’utilisation d’un réactif inadéquat ou une mauvaise interprétation des résultats peuvent s’avérer fatales pour le patient. Nous avons évoqué des cas d’accidents liés aux antivitamines K, dus à un problème de réactif défectueux ou à une mauvaise interprétation des résultats. Nous sommes amenés quotidiennement à corriger des diagnostics faussés par ce type d’erreurs. On estime que 70 à 80 % des diagnostics dépendent de l’activité de la biologie médicale. »

Face à cette situation préoccupante, les professionnels de la santé appellent les autorités à un renforcement du cadre réglementaire et à des contrôles accrus. Ils demandent également l’annulation du décret exécutif qui a élargi les prérogatives des biologistes fondamentaux, sans formation spécifique en biologie médicale. « Il est impératif d’agir rapidement pour protéger les patients. La biologie médicale ne peut être exercée que par des spécialistes qualifiés, conformément aux textes réglementaires en vigueur », conclut Agoun Adel. Alors que le secteur de la santé fait face à de nombreux défis, cette alerte des experts rappelle l’importance de garantir une prise en charge médicale fiable et sécurisée pour l’ensemble des citoyens.

Sarah Cheriet

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