Élection présidentielle du 28 mai 2023 en Turquie: Les enjeux économiques

0
201

Selon le Conseil électoral turc, pour le premier tour, sur les 60 721 745 inscrits sur les listes électorales, 53 993 683 personnes ont participé aux élections du 14 mai 2023 où près de 53 millions de bulletins de vote ont été validés avec un  taux de participation  de 88,92%.

Aucun candidat n’ayant obtenu la majorité relative 50% plus une voix,  s’est imposé un  deuxième tour, le  28 mai 2023, le premier tour du  scrutin s’étant déroulé dans le calme traduisant le degré élevé de citoyenneté, salué par la majorité de la communauté internationale. Au premier tour, le président sortant  Recep Tayyip Erdogan a obtenu 49,52% des votes exprimés avec la majorité au Parlement, et son grand rival Kemal Kiliçdaroglu à la tête d’une coalition très hétéroclite de l’extrême droite à l’extrême gauche a eu 44,88%, le troisième candidat, Sinon Ogan, dissident du parti nationaliste MHP ayant obtenu 5,17 % a décidé de se rallier à Recep Tayyip Erdogan ce qui donnerait une légère avance au président sortant; mais dans toute élection, il ne faut pas exclure des surprises. Quel que soit le résultat,   l’élection présidentielle en Turquie étant  basée sur un scrutin uninominal majoritaire à un tour, sera  déclaré élu le candidat qui aura obtenu une majorité simple, mais le grand défi sera le redressement économique. La Turquie, étant une grande puissance régionale, devant être attentive au  changement sur le plan géostratégique au niveau régional et mondial, le grand défi est le  redressement économise et notamment la lutte contre l’inflation.

1 – Le territoire de la République de Turquie se répartit entre l’Asie occidentale soit 97 % de la superficie totale et 83 % de la population, et l’Europe du Sud où la partie européenne,  située à l’ouest du détroit du Bosphore et du détroit des Dardanelles, correspond à 3 % de la superficie totale de la Turquie, mais regroupe 17 % de sa population. Entourée par l’eau de trois côtés et protégé par de hautes montagnes le long de sa frontière orientale, la Turquie est bordée par huit pays : Bulgarie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Iran et Syrie lui conférant une position stratégique. Depuis sa fondation, la population de la Turquie est passée de 13,5 millions d’habitants lors du premier recensement de 1927 à 84,7 millions en 2021 et en 2023 la population augmentera 1 485 230 personnes et à la fin de l’année elle sera de 89 681 782 personnes. Avec une structure de 49,9% masculin et 50,1% féminin selon cette enquête, les jeunes âgés de 15 à 24 ans en Turquie représentent 15,6% de la population. Selon le scénario principal des projections démographiques officielles (TURKSTAT, 2022), le taux de croissance de la population continuera à diminuer, avec une population totale qui devrait se stabiliser juste au-dessus de 100 millions vers 2060 et pour la partie jeunes, la tendance au cours des prochaines décennies, serait de 14,8% en 2023, 13,4% en 2040, 11,8% en 2060 contre 19,4% en 2000 et 17% en 2010. Concernant la structure du PIB, entre 2021/ 2022, la valeur ajoutée de l’industrie turque représente 26,6 % du PIB, contre 63,7 % pour les services, 9,6 % pour l’agriculture, l’économie turque étant une économie de marché ouverte à la concurrence internationale où par exemple en Afrique la valeur cumulée des projets turcs ont atteint 71,1 milliards de dollars à fin 2021. Notons que les exportations de l’industrie de défense en 2021 selon Daily Sabah ont été évaluées à 3,2 milliards de dollars et auraient atteint 4,4 milliards de dollars en 2022 avec une prévision de 6 milliards de dollars en 2023, représentant presque la moitié des 10 milliards de dollars de chiffre d’affaires. La Turquie enregistre un produit intérieur brut extrapolé pour 2023 à 941 milliards de dollars selon les estimations du FMI. Le taux de croissance a été estimé à 5,3% en 2022 en diminution par rapport à 2021 où ce taux avait atteint 11%. Cette croissance du PIB s’explique pour bon nombre d’experts, essentiellement par politique de taux de la Banque centrale qui a soutenu le crédit bancaire. Le principal taux turc a notamment été ramené à 9% en novembre 2022 contre 10,5% précédemment, tandis que la Banque centrale européenne a augmenté ses taux de 2,5 points de pourcentage et la Réserve fédérale américaine de 3,5 points, depuis le printemps 2022. Mais ce choix de politique monétaire a contribué à faire chuter la livre turque de 31,91% depuis le 1er janvier 2022, sachant que la devise avait déjà dévissé de 44% en 2021.

Cette politique de privilégier la croissance au détriment de la stabilité monétaire semble être révisée où le 24 novembre 2022, le Conseil de la banque centrale turque a estimé que le taux directeur était arrivé «à un niveau suffisant et a décidé de mettre fin au cycle de baisse des taux d’intérêt».

2 – Mais d’autres facteurs ont contribué à la croissance du PIB : l’industrie, la logistique, et les activités des centres commerciaux, jusqu’alors durement pénalisés par les mesures de restriction décidées pour freiner la pandémie du coronavirus, le PIB ayant été également été soutenu par le secteur du tourisme : le nombre de touristes ayant été multiplié par 4 a atteint  presque 12 millions soit quasiment le niveau pré-crise sanitaire. Mais l’économie turque connaît une croissance  d’autres secteurs, où selon  les données officielles du gouvernement pour 2022, sans compter le BTPH, les exportations pour le secteur manufacturier ont atteint 254,2 milliards de dollars soit une hausse de 13% par rapport à 2021 représentant 25% du PIB et 80% des exportations se classant à la 11e en termes de valeur ajoutée derrière la Pologne et la 6e pour les exportations.

Pour l’agriculture, totalisant environ 3 millions de personnes (3076 entreprises agricoles) jouissant de 5,1 millions d’hectares arables, toujours selon les données gouvernementales, la part de l’agriculture un volume d’échange d’environ 30,5 milliards de dollars, les exportations ayant été de 17,7 milliards de dollars étant le 2e pays d’Europe. Cela a eu comme impact une relative amélioration du marché de l’emploi où le taux de chômage a poursuivi sa baisse au premier semestre 2022 : de 13,0 % fin 2020, étant  passé à 11,2 % fin 2021 puis à 9,8 % en août 2022. Celui des 15-24 ans a suivi la même tendance avec respectivement, 27,0 % puis 22,7 % et 17,3 %. Cependant au troisième trimestre 2022, les indicateurs du marché de l’emploi montrent que le taux de chômage augmente en septembre 2022 à 10,1 % contre 9,8 % le mois précédent. Le taux de chômage des 15-24 ans enregistre quant à lui une plus forte augmentation, à 18,9 % en septembre contre 17,3 % en août. Toutefois, l’ orientation de la politique monétaire a induit un glissement de la monnaie et partant, de façon directe ou indirecte, une exacerbation des tensions inflationnistes. Selon la Banque mondiale, au cours des 61 dernières années, à fin, le taux d’inflation des biens de consommation en Turquie a oscillé entre 1,1% et 105,2%. Au cours de la période d’observation de 1960 à 2021, le taux d’inflation moyen était de 32,0 % par an et au total, la hausse des prix sur cette période a été de 616,54 millions %, où un article qui coûtait 100 livres en 1960 était donc facturé 616,54 millions début 2022. Face aux tensions inflationnistes, le gouvernement turc a décidé de relever le salaire minimum au 1er janvier 2023 à 8.500 livres turques net (environ 455 euros), pour la troisième fois en un an. Autres impacts, une déplétion des réserves et un dérapage des finances publiques, où la livre turque a été dépréciée, de 44,0 % par rapport au dollar en 2021 et de 39.8 % depuis le début de 2022, tensions accentuées par le conflit en Ukraine, qui a engendré une hausse des cours internationaux de matières premières, dee +85,5 % en octobre pour les prix à la consommation et +157,7 % pour les prix à la production. Avec la hausse des cours internationaux de matières premières, et en particulier du gaz et du pétrole dont la Turquie est presque entièrement dépendante, le déficit courant s’est creusé à 39,1 Mds USD en septembre 2022 (4,7 % du PIB) contre 14,0 Mds USD fin 2021 (1,7 % du PIB) avec un impact sur les réserves de change, environ 14,6 Mds USD début novembre 2022 représentant moins d’un demi-mois d’importations. Dans ces conditions, Moody’s et Standard & Poor’s ont dégradé la note de la Turquie. Certes, contrairement à d’autres pays européens avec la récession qui s’annonce pour 2023, connaît une croissance mais avec une inflation à deux chiffres qui paupérise une large fraction de la société. Bien qu’en 2021, le montant de la dette publique est évalué à 221,96 milliards d’euros, montant le plus élevé des 23 dernières années, avec un déficit budgétaire d’environ TRL 280 mds, soit seulement 2,5% du PIB projeté pour 2022 grâce à une révision en hausse des recettes fiscales, encore que le déficit budgétaire s’est creusé en mars 2023 en raison des tremblements de terre qui ont frappé le pays, ayant atteint 250 milliards de livres turques (près de 13 milliards de dollars) au premier trimestre 2023, ce déficit et cette dette semblent être maîtrisable étant estimée à 36% du PIB un taux relativement faible comparé à l’importante dette mondiale estimée fin 2022 à 300.000 milliards de dollars soit 300% du PIB et pour l’Union européenne approchant les 100% contre 86,4%

En conclusion, comme le note une étude du FMES (Institut de réflexion stratégie ) en le monde du XXe siècle s’étant progressivement structuré autour de l’Occident ayant été bouleversé par un mouvement brutal des plaques tectoniques géopolitiques qui redessine un nouvel équilibre vers un monde multipolaire, notamment à travers le poids des BRICS ,pesant 30% du PIB mondial (72% pour la Chine) et 45% de la population mondiale en 2022, et son élargissement lors de la prochaine réunion en Afrique du Sud à travers la formule BRICS+, la Turquie, dans un environnement très instable ambitionne, quel que soit le résultat du second tour, d’étendre son influence pour devenir un important acteur dans le jeu régional et mondial.

A. M.