Les participants à une rencontre sur la sécurité culturelle ont souligné dimanche à Alger l’importance du rôle des médias et la nécessité de renforcer la sécurité culturelle pour se prémunir des guerres cognitives, outil de manipulation et d’altération de la pensée et de l’opinion publique.
S’exprimant lors d’une rencontre intitulée « La sécurité culturelle et les médias: défis du futur », en marge du 28e Salon international du livre d’Alger (Sila), l’universitaire Ahmed Bensaâda, a focalisé son intervention sur les menaces pesant sur les personnes vulnérables, soumises aux « pensées déformées », visant à porter atteinte à la cohésion nationale. Relevant l’importance de la culture de par son rôle de « ressource essentielle pour renforcer l’identité et la cohésion nationale », M. Bensaâda, a affirmé que les conflits au XXI siècle, sont irrémédiablement transférés sur le terrain de la réflexion, soutenant que la culture algérienne, dans sa richesse et ses diverses expressions linguistiques et artistiques, demeure une réponse cinglante à ces guerres cognitives malveillantes et malsaines. »Contrairement aux conflits traditionnels, la guerre cognitive s’attaque à nos cerveaux et à notre façon de penser, cherchant à nous obliger à adopter de nouveaux schémas de réflexion imposés de l’extérieur », a expliqué ce chercheur et auteur d’ouvrages scientifiques et pédagogiques.Appelant à développer des « narratifs appropriés », basées sur une connaissance profonde de la société, pour faire face à ces guerres cognitives, l’intervenant énumère quelques mécanismes de manipulation connus sous le concept de, « biais cognitifs » qui transforment les individus en consommateurs vulnérables, dépourvus d’esprit critique.Pour sa part, la journaliste égyptienne, Lamia Mahmoud, a mis en avant l’importance des médias et du tourisme dans la consolidation du rôle de la culture dans ses différentes expressions, estimant que les réseaux sociaux sont devenus des « concurrents potentiels » aux médias traditionnels, notamment la télévision et la radio, dont la noble mission est d’informer et façonner l’opinion publique, dans une perspective citoyenne qui permette « la neutralisation de ces guerres cognitives ».L’universitaire, journaliste, consultant international sénégalais, Mactar Silla, a, quant à lui, mis en garde contre les contenus culturels et médiatiques « malintentionnés » provenant de l’étranger, suggérant à ce propos, une « stratégie concertée » impliquant les médias pour créer des contenus africains positifs pour se prémunir de ces campagnes de désinformation « sournoises », censées servir, selon lui, d’outils à de « nouvelles formes de domination ».L’intervenant a martelé que ces « stéréotypes » de pensée, qui alimentent des « attitudes politiquement correctes », visent à « manipuler les esprits et travestir les réalités ».Afin d’y remédier, M. Mactar Silla, par ailleurs auteur d’un ouvrage sur le pluralisme télévisuel en Afrique de l’Ouest, recommande de donner la priorité aux produits émanant d’auteurs africains pour mettre en valeur, promouvoir et transmettre leur histoire, culture, patrimoine et référents identitaires ».
Conférence sur l’esclavage dans les littératures africaines
Une rencontre intitulée « L’esclavage dans les littératures africaines », organisée dimanche à Alger dans le cadre du programme littéraire dédié à l’Afrique du 28e Salon international du livre d’Alger (SILA), a permis aux intervenants de rappeler « la complexité » de ce thème, souvent traité « avec réserve en raison de sa nature traumatisante ».Accueillie à l’espace « Esprit Panaf » au pavillon central du Palais des expositions aux Pins maritimes, cette conférence a été animée par le spécialiste des littératures anglophones et francophones et responsable de l' »Espace Afrique » au 28e SILA, Benaouda Lebdaï et le président du Haut Conseil des Béninois de l’extérieur (HCBE), Maxime Vignon.Ainsi, pour Benaouda Lebdaï, l’esclavage, conséquence du colonialisme européen, a « profondément bouleversé l’Afrique autrefois organisée et prospère », avec la traite négrière qui a duré plusieurs siècles et qui a « déporté, pour des raisons liées aux besoins de mains-d’œuvre économiques, des millions d’Africains vers les Amériques dans des conditions inhumaines». Les récits de témoins comme Olaudah Equiano, Frederick Douglass ou Harriet Jacobs décrivent l’horreur, des violences, des suicides et de la déshumanisation subie par les esclaves, victimes d’un commerce qui aura nourri l’économie occidentale au prix d’un traumatisme durable.Malgré l’abolition de l’esclavage, poursuit l’intervenant, « le traumatisme reste vivace et nourrit encore la littérature contemporaine », à travers les écrits de nombreux auteurs, tels que Colson Whitehead, Fabienne Kanor ou Yaa Gyasi, qui « explorent encore cette mémoire collective », retraçant les souffrances, les révoltes et les « héritages de leurs ancêtres » et montrant également que le passé esclavagiste « continue d’imprégner la société actuelle et d’alimenter les débats sur le racisme et la justice ». Le spécialiste des littératures anglophones et francophones a ensuite rappelé que « les recherches littéraires et mémorielles contemporaines visent à décoloniser les représentations, à repenser le vocabulaire (en parlant d' »esclavisés » plutôt que d’ »esclaves ») et à reconstruire une humanité commune ».Dans la lignée de Frantz Fanon et d’Achille Mbembe, ces travaux appellent à « dépasser le traumatisme pour bâtir un monde fondé sur l’égalité, la mémoire partagée et la reconnaissance de tous les êtres humains », a conclu Benaouda Lebdaï.De son côté, Maxime Vignon a tenté d’analyser la « manière dont les littératures africaines et diasporiques abordent la mémoire de l’esclavage » qui, selon lui, « n’est pas seulement un fait historique, économique ou politique, mais surtout une expérience de déshumanisation raciale qui a marqué les corps et les consciences par le déracinement et le silence imposé ».M. Vignon a rappelé que « certaines représentations visuelles ou discours officiels cherchent encore à adoucir cette réalité, à transformer la tragédie en récit acceptable, alors que les écrivains africains, eux, brisent ce silence par la puissance de la parole et de l’écriture ». »Des auteurs comme Aimé Césaire, Aminata Sow Fall, Yambo Ouologuem, Mariama Bâ ou Colson Whitehead transforment la mémoire de l’esclavage en écriture de résistance et de dignité », a poursuivi le président du HCBE, faisant remarquer qu’ils (les auteurs cités) redonnent voix à ceux qu’on avait réduits au silence et interrogent aussi les complicités africaines dans l’histoire de la traite. »Par la polyphonie, le mélange des langues, la réhabilitation du mythe et de l’oralité, la littérature devient un espace de réparation : elle guérit, réconcilie et rend visibles les invisibles », a encore expliqué Maxime Vignon.Ainsi, ajoute l’orateur, la littérature africaine « ne se réduit pas à la plainte » : elle incarne « la résilience, la reconstruction et la libération et transforme la douleur en beauté, la mémoire en boussole pour l’avenir ».En réécrivant l’histoire, ajoute l’intervenant, les écrivains africains « cherchent à décoloniser les mentalités et à bâtir un monde fondé sur la justice, la reconnaissance mutuelle et la parole partagée ». »L’esclavage appartient au passé, mais sa mémoire vivante appartient à l’avenir, portée par la littérature comme acte de liberté et d’humanité retrouvée » a conclu M. Vignon.Le 28e SILA se poursuit jusqu’au 8 novembre au Palais des expositions des Pins maritimes avec au programme des rencontres et conférences sur la littérature, l’histoire, l’identité ainsi que des thématiques dédiées aux causes de libération, en présence de 1254 exposants-éditeurs issus de 49 pays dont la Mauritanie, invité d’honneur.
M.Taous / Ag






